Table rase
Un des plus grands chefs d'oeuvre du cinéma cette semaine sur France 2 avec la diffusion de l'immense Allemagne année zéro de Rossellini ou comment le maître italien filme le destin d'une civilisation à peine sortie de la guerre à hauteur d'un enfant victime de toutes les manipulations. A ne pas rater !
Il aurait été, sans doute, plus judicieux de diffuser Allemagne année zéro le 8 mai, non pas tant pour célébrer la capitulation de l'Allemagne dans la seconde guerre mondiale pour rappeler comment ce pays et l'Europe sortirent exsangues d'un conflit inédit.
Mais France 2 a préféré une diffusion à 0 heure 27 (!!!) dans la nuit du lundi 12 au mardi 13 mai pour nous permettre de voir ou revoir cette oeuvre inégalée du cinéma d'après guerre. Tourné en 1947, dans les conditions de l'époque dans un Berlin portant toutes les stigmates du conflit, Allemagne année zéro est un film sur l'impossible innocence après les atrocités de la seconde guerre mondiale. Il suit le parcours du jeune Edmund, un enfant de douze ans, devenu à son insu, l'objet d'un sordide personnage, son ancien maître d'école, lui confiant de basses besognes, rappelant la page à peine tournée du nazisme. Ce dernier, pour soigner et sauver son père très malade, est ainsi entraîné dans une spirale infernale qui le conduira au bord du vide, scène finale d'une intensité dramatique inégalée, constituant un des plans les plus célèbres du cinéma européen.
En à peine 1 heure 15 et 250 plans, Allemagne année zéro dresse le portrait sans concession mais aussi sans atermoiement, d'un pays et d'une civilisation dévastés. Dans ce Berlin encore en ruines, le péril nazi n'est jamais loin (le frère aîné qui refuse de se rendre, l'instituteur cupide) et sa proie, l'enfant candide, toujours bonne à dévorer. A travers lui, Rossellini pose "la" question de cette guerre : comment un peuple a-t-il pu se laisser conduire au bord du gouffre par un régime nourri de violences et de morts ? En filmant le lieu du crime, la capitale allemande, Rossellini n'a pas seulement cherché à faire oeuvre de cinéaste-historien, enregistrant, dans la logique du néo-réalisme, son époque mais bien à nous conduire à cette réflexion profonde. Il déclarait ainsi au moment de la présentation du film : "Les Allemands étaient des êtres humains comme les autres ; qu'est-ce qui a pu les amener à ce désastre. La fausse morale, essence même du nazisme, l'abandon de l'humilité pour le culte de l'héroïsme, l'exaltation de la force plutôt que celle de la faiblesse, l'orgueil contre la simplicité. C'est pourquoi j'ai choisi de raconter l'histoire d'un enfant, d'un être innocent que la distorsion d'une éducation utopique amène à perpétrer un crime en croyant accomplir un acte héroïque."
Tourné sans vedette (principe du cinéma néo-réaliste), avec un grand sens de la narration qui le rend indémodable près de 70 ans après sa réalisation, Allemagne année zéro est un film émouvant mais qui refuse tout sentimentalisme, piège dans lequel les oeuvres traitant de cette période tombent trop souvent. Sa conclusion, aussi cruelle soit-elle, prouve que même au contact de la mort, l'humanité peut exister encore.