Nuit magique
Attention, chef d'oeuvre : Opening Night de John Cassevetes, diffusé dimanche 22 juin, à 22 heures 25 mais sur une chaîne payante, Ciné+ Classic. Quid de l'accès pour tous à la culture ? Que faut-il faire pour que le plus grand nombre voit une Gena Rowlands grandiose, dans un rôle extraordinaire ?
Qui aura la chance d'allumer son téléviseur pendant près de 2 heures 30 au coeur d'une soirée estivale, afin de découvrir un film en V.O de John Cassavetes sur les états d'âme d'une comédienne de théâtre ? Peut-être, ceux qui auront été touchés par le début du plus connu Tout sur ma mère de Pedro Almodovar, qui empruntait la scène de l'accident du jeune garçon à ce film des années 1970... L'oeuvre du cinéaste espagnol était dédiée d'ailleurs, entre autres, à Gena Rowlands.
Opening Night n'est pas un film facile, sorti aux Etats-Unis en 1978, il ne fut distribué en France qu'en 1992, après la mort du grand réalisateur et comédien, John Cassevetes, grâce notamment à l'intervention de Gérard Depardieu.
Le film s'organise autour de la représentation théâtrale d'une pièce intitulée The Second Woman que n'arrive pas à interpréter Myrtle Gordon, actrice adulée qui a assisté à la mort effroyable d'une de ses gruppies au terme d'un spectacle. Car cette "seconde femme" c'est aussi elle, qui sent la vieillesse la guetter du coin de l'oeil. En désaccord avec ses partenaires et surtout avec la rédactrice de la pièce, victime d'hallucinations, elle se réfugie dans l'alcool et arrive en état d'ébriété avancé pour la Première. Parviendra-t-elle à tenir son rôle ?
Opening Night est sans doute le film le plus humain et le plus abouti sur la création artistique et sur l'enchevêtrement entre l'art et la vie. C'est aussi l'un des rares films qui parvient à donner toute leur vérité à des scènes de théâtre. Loin de filmer un spectacle, Cassavetes insère dans son oeuvre des passages d'une pièce (qui n'existe pas en réalité) dans les conditions d'une représentation théâtrale. Les moments forts se multiplient : l'accident de la jeune fille, mais aussi les empoignades entre Myrtle et l'auteure (inoubliable réponse de Gena Rowlands à cette dernière qui l'interroge sur ce qu'il manque à son personnage : "Hope" lui répond-elle), sans parler du final extraordinaire où l'on assiste depuis le public au triomphe de l'actrice et finalement de la vie.
John Cassavetes était l'un des plus grands réalisateurs du cinéma américain, en marge des systèmes de production et de distribution internationaux. Il était aussi un homme de conviction et de fidélité devant et derrière l'écran. On ne s'étonnera donc pas de retrouver, dans ce film magnifique, toute sa tribu : sa femme, Gena Rowlands, et deux de ses acteurs/amis favoris : Ben Gazzara et dans une très courte apparition, à la toute fin du film, Peter Falk, le fameux inspecteur Colombo dans... un impeccable smoking.